Une pièce de Josef Nadj pour douze interprètes en hommage à Raymond Roussel   

 

Chorégraphie 

Josef Nadj

 

Interprétation

Istvan Bickei, Sylvain Blocquaux, Samuel Dutertre, Peter Gemza, Mathilde Lapostolle, Cécile Loyer, Nasser Martin-Gousset, Josef Nadj, Kathleen Reynolds ou Isabelle Kurzi, Laszlo Rokas, Gyork Joseph Szakonyi, Cécile Thièblemont

 

Assistant à la chorégraphie

Denes Debreï

 

Lumières

Rémi Nicolas

assisté de Christian Halkin

 

Scénographie

Michel Tardif

 

Musiques 

Peter Vogel, The Art Ensemble Chicago, Malachi Favors Maghostut, Tatsu Aoki, Famoudou Don Moye, Conlon Nancarrow, Samm Benett, Kazimierz Serocki

 

Costumes 

Yasco Otomo

assistée de Fabienne Orecchioni

 

Conception et réalisation des masques et accessoires

Jacqueline Bosson

 

Coproduction 

Centre Chorégraphique National d’Orléans, Théâtre National de Bretagne – Rennes, Le Volcan Scène Nationale du Havre, Théâtre de la Ville – Paris, Le Carré Saint-Vincent Scène Nationale d’Orléans

 

Création 

Scène Nationale d’Orléans, 5 octobre 2004

 

Durée 

1 h 25

Cette pièce emprunte son titre à l’une des œuvres dramatiques de Raymond Roussel.

Si, de son vivant, Roussel ne connut pas la gloire à laquelle il aspirait et surtout l’euphorie qui, croyait-il l’accompagne et si depuis sa mort, il est resté un auteur relativement confidentiel, sa vie et son œuvre ont marqué de manière profonde nombre d’artistes et d’écrivains. À commencer par Marcel Duchamp, qui affirmait tout lui devoir mais aussi Georges Bataille, Michel Leiris, Georges Perec ou Michel Foucault.

C’est moins à l’œuvre littéraire qu’à la vie et à l’univers de Raymond Roussel qu’est consacré Poussière de soleils.
À son excentricité et son goût pour le spectacle, en opposition avec sa vie de solitaire, ponctuée de voyages accomplis avec une totale absence de curiosité.

Josef Nadj avoue sa fascination pour le parcours extravagant de ce riche dandy, chanteur amateur, joueur d’échecs, toxicomane, pour la manière dont il fit œuvre de sa vie, tissant des relations entre l’art et la folie, entre l’art et la mort.

A propos de Raymond Roussel

"Roussel se croyait philologue, philosophe et métaphysicien. Mais il reste un grand poète. C'est Roussel qui, fondamentalement, fut responsable de Mon Verre, La Mariée mise à nu par ses célibataires, même. Ce furent ses Impressions d'Afrique qui m'indiquèrent dans ses grandes lignes la démarche à adopter. […] Je vis immédiatement que je pouvais subir l'influence de Roussel. Je pensais qu'en tant que peintre, il valait mieux que je sois influencé par un écrivain […]. Et Roussel me montra le chemin. Ma bibliothèque idéale aurait contenu tous les écrits de Roussel […] Voilà la direction que doit prendre l'art: l'expression intellectuelle, plutôt que l'expression animale. J'en ai assez de l'expression "bête comme un peintre".

Marcel Duchamp

 

 

"Roussel a inventé des machines à langage qui n’ont sans doute, en dehors du procédé, aucun autre secret que le visible et profond rapport que tout langage entretient, dénoue et reprend avec la mort".

"Une seule chose est certaine: le livre «posthume et secret» est l’élément dernier, indispensable au langage de Roussel. En donnant une «solution», il transforme chacun de ses mots en piège possible, c’est-à-dire en piège réel, puisque la seule possibilité qu’il y ait un double fond ouvre pour qui écoute un espace sans repos. Ce qui ne conteste pas l’existence du procédé clef, ni le méticuleux positivisme de Roussel, mais donne à sa révélation une valeur rétrograde et infiniment inquiétante."

Michel Foucault, Raymond Roussel

 

 

RAYMOND ROUSSEL

 

Né le 20 janvier 1877 à Paris, Raymond Roussel a été retrouvé mort au matin du 14 juillet 1933 dans la chambre 224 qu’il occupait depuis plusieurs semaines au Grand Hôtel et des Palmes à Palerme. La police palermitaine a rapidement conclu à une mort « naturelle causée par une intoxication due aux narcotiques et somnifères ». Cependant, la thèse du suicide semble hautement probable. Celui que Michel Leiris décrivait comme «multimillionnaire, écrivain et auteur dramatique, pianiste et chanteur amateur, faiseur d’“imitations”, bon tireur au pistolet, joueur d’échecs […], voyageur, toxicomane», avait tout sacrifié à son unique passion: la littérature. Peu après sa mort, selon les consignes qu’il avait données à son éditeur, paraissait son ultime opus, Comment j’ai écrit certains de mes livres qui, en dépit de la révélation que laisse supposer son titre, obscurcit plus qu’il ne le dévoile le mystère Roussel. Le mystère Roussel: son dandysme (un souci de l’apparence qui touchait à la phobie), son excentricité et son goût pour le spectacle, en opposition avec sa vie solitaire, ponctuée de voyages accomplis avec une totale absence de curiosité (« J’ai beaucoup voyagé. […] Or de tous ces voyages, je n’ai jamais rien tiré pour mes livres. Il m’a paru que la chose méritait d’être signalée tant elle montre clairement que pour moi l’imagination est tout ») ; comme le secret des procédés qu’il a définis et mis en jeu, de manière obsessionnelle, dans l’écriture de ses œuvres romanesques et poétiques.

 

Dans ce livre, Roussel mentionne «une curieuse crise que j’eus à l’âge de 19 ans, alors que j’écrivais La Doublure. Pendant quelques mois j’éprouvai une sensation de gloire universelle d’une intensité extraordinaire». À la suite de l’échec littéraire rencontré par ce premier roman (composé en vers), Roussel déclara avoir eu « l’impression d’être précipité jusqu’à terre du haut d’un prodigieux sommet de gloire ». Faut-il mettre en relation cet échec et ceux qu’allaient connaître ses romans, poèmes et pièces de théâtre ultérieurs, et la frénésie avec laquelle Roussel s’adonna, la dernière année de sa vie, au jeu d’échecs ? En guise de conclusion à Comment j’ai écrit certains de mes livres, Roussel revient sur «le sentiment douloureux que j’éprouvais toujours en voyant mes œuvres se heurter à une incompréhension hostile presque générale. Je ne connus vraiment la sensation du succès que lorsque je chantais en m’accompagnant au piano et surtout par de nombreuses imitations que je faisais d’acteurs ou de personnes quelconques. Mais là, du moins, le succès était énorme et unanime. Et je me réfugie, faute de mieux, dans l’espoir que j’aurai peut-être un peu d’épanouissement posthume à l’endroit de mes livres.»

 

 

Poussière de soleils vu par Muriel Steinmetz

Des poussières de soleils qui piquent... la curiosité

 

Josef Nadj a présenté Poussière de soleils au Théâtre de la Ville. Depuis vingt ans, le chorégraphe, originaire de Voïvodine, enclave hongroise de l'ex-Yougoslavie, confectionne puis manipule ses personnages comme des mannequins d'étoupe vus sous divers angles. Il s'avance masqué, alimente d'images en mouvement son entretien ininterrompu avec des compagnons de route qui ont nom Kafka, Schulz, Büchner, Beckett ou Artaud. Pour sa dernière création, Josef Nadj s'est laissé aimanter par l'univers troué d'énigmes, empli d'objets déplacés, de bizarreries, de distorsions d'écriture, né sous le crâne du milliardaire artiste qui enchanta les surréalistes et n'eut aucun succès de son vivant, Raymond Roussel.

 

La figure clé d'une littérature à part

Longtemps ignoré, redécouvert dans les années soixante-dix grâce à Michel Foucault entre autres, objet de scandale, notamment lors de la réception de son oeuvre Locus Solus (1914), Raymond Roussel est la figure clé d'une littérature à part. D'aucuns vont jusqu'à le comparer à Joyce. Breton l'a défini comme « le plus grand magnétiseur des temps modernes ». « Je l'ai approché, dit Josef Nadj, à travers Marcel Duchamp, un passionné du jeu d'échecs (comme moi), qui le tenait pour son maître. J'ai découvert un génie au talent protéiforme : écrivain, champion de tir au pistolet, inventeur du double vitrage, imitateur hors pair, excellent pianiste. J'ai eu l'envie d'explorer son oeuvre ». Poussière de soleils, reprenant le titre d'une pièce de Raymond Roussel écrite en 1926, se joue au sein d'une maison en bois brut (portes et fenêtres sont vigoureusement emboîtées), flanquée de sa jumelle. Nadj met ainsi habilement en scène, non sans un goût certain pour la menuiserie (dont son père fit profession), le thème du double cher à Raymond Roussel. Son premier texte, composé en vers et publiée à compte d'auteur, ne s'intitulait-il pas La Doublure (1897) ? Il y imaginait un comédien raté, affecté au rôle ingrat de doublure dans un théâtre.

 

Sur la scène, les douze interprètes vaquent au sein des deux demeures, réussissant le tour de force de réfléchir à l'unisson les gestes de leur voisin imaginaire. La pièce fonctionne comme le texte de Roussel en son entier, sans narration suivie, mais truffé d'aphorismes visuels, d'homophonies dans le mouvement, de clins d'oeil à l'auteur sur le mode du collage. Le premier acte met en jeu une danse des masques, un art nègre sur fond de percussions africaines, rappel des Impressions d'Afrique (1910) et de leur pendant les Nouvelles Impressions d'Afrique (1932), écrites par le globe-trotter Roussel, qui y travestit la culture occidentale en plein triomphe du colonialisme. Nadj décide d'emblée de lever le masque sur la biographie de l'auteur. La figure du poète, flanquée de son double, traverse donc l'oeuvre. Une femme qu'on dirait en proie à la démence hante la scène. Elle n'est pas sans rappeler Charlotte Dufrêne, la maîtresse de Raymond Roussel. On sait que Raymond Roussel, né dans une famille de la plus riche bourgeoisie, placé sous la coupe d'une mère autoritaire et excentrique, accablé par ses échecs littéraires, prit pour maîtresse Charlotte Dufrêne afin de mieux dissimuler son inavouable homosexualité.

 

Savante distorsion des perspectives

Elle revient ici comme un petit satellite, tandis que la figure masculine, vêtue d'une chemise blanche lardée de coups de couteau, est épinglée sur une porte comme un papillon. Le décor, mobile, permet une savante distorsion des perspectives. La maison, où chacun se fige pour bouger de plus belle - certains entrent par la fenêtre, d'autres dorment debout ou à cheval sur le chambranle de la porte -, rappelle la cage-glacière de Locus Solus de Roussel, mi-morgue mi-musée Grévin. Cette maison pour pantins à l'échelle humaine s'ouvre en perspectives fuyantes puis se referme. Le jeu d'accommodation visuelle qui en découle mime l'art de Raymond Roussel, lequel révéla ses secrets de fabrication dans Comment j'ai écrit certains de mes livres (1935). La dernière séquence a lieu au coeur d'une unique maison (l'une s'étant refermée sur l'autre), dans laquelle le regard des spectateurs ne peut passer, si bien que l'on assiste en aveugle au coup de revolver fatal. Nadj, cette fois, s'avance au plus près de l'écorce intime de celui dont il entend ressusciter l'existence.

 

Muriel Steinmetz - L’Humanité - 3 mai 2005

Dates passées :

 

26 janvier 2008

Modafe Korea

Séoul (KR)

 

15 mai 2007

La Coursive Scène nationale de la Rochelle

Rochelle (FR)

 

14 avril 2006

Le Parvis

Tarbes (FR)

 

7 mars 2006

Théâtre de Caen

Caen (FR)

 

19-20 mai 2005

Le Volcan

Le Havre (FR)

 

19-26 avril 2005

Théâtre de la Ville

Paris (FR)

 

14 avril 2005

Le Carreau Scène nationale de Forbach

Forbach (FR)

 

7 avril 2005

Comédie de Clermont-Ferrand

Clermont-Ferrand (FR)

 

26 novembre 2004

Bonlieu Scène nationale d’Annecy

Annecy (FR)

 

23 novembre 2004

Comédie de Valence

Valence (FR)

 

12-23 octobre 2004

Théâtre national de Bretagne

Rennes (FR)

 

5-6 octobre 2004

Le carré Saint-Vincent Scène nationale d’Orléans

Orléans (FR)