En écho au spectacle Les Corbeaux, une série de dessins à la mine de plomb, ombres minérales, végétales, animales.

 

«  Du blanc du papier semble jaillir un souffle d’air. Animées par le vent des brindilles végétales, des touffes d’herbes, des ombres filandreuses d’ailes d’oiseaux dansent dans l’espace. Paresseux en apparence et obstinés, les traits de mine de plomb s’étirent au-dessus de la feuille en tourbillons et masses plus ou moins denses. Ils s’assemblent en fagots ou en écheveaux balayés par le vent, ou comme aspirés par une force ascensionnelle. Curieusement, les corbeaux ne sont jamais représentés.

Symbole de la sagesse. On imagine la pointe du crayon plus ou moins écrasée sur la feuille. Infinie sensualité de la ligne du geste. Répété inlassablement. Un geste de danseur bien sûr. Un dessin de danseur évidemment. Car avant de devenir le grand chorégraphe que l’on connaît Josef Nadj a étudié dans une école d’art en Hongrie, son pays d’origine. »

 

Jean-Paul Sportiello

Josef Nadj : « Je suis à la fois l'observateur, le pinceau, la peinture et le danseur », par Rosita Boisseau

Le chorégraphe et plasticien présente une exposition de ses dessins, "Les Corbeaux", où les oiseaux surgissent d'un jet abstrait, à la faveur de spirales ou de lignes droites en noir et blanc.

 

Danser et dessiner font cause commune pour le chorégraphe Josef Nadj. A l'affiche du festival Paris quartier d'été, parallèlement à la reprise de son duo Petit Psaume du matin, avec Dominique Mercy, il présente une exposition de quarante dessins à la mine de plomb intitulée Les Corbeaux, après une performance du même nom donnée les 25 et 26 juillet. Cette doublette officialise la relation organique entre le geste du plasticien et celui du danseur. Pendant que, sur le plateau de la Maison des métallos, Nadj, trempé dans un bain de peinture noire, atterrit sur une feuille blanche posée au sol, ses dessins proposent une version graphique plus épurée du vol du corbeau.

Cette alliance n'est pas le fait du hasard. Josef Nadj avait 11 ans quand il présenta ses premières toiles dans sa ville natale de Kanizsa, en Voïvodine (Serbie). Neuf ans plus tard, il entreprend des études d'arts plastiques aux Beaux-Arts de Novi Sad, puis à Budapest. Devenu chorégraphe dans les années 1980, il n'a jamais délaissé son pinceau. En 2001, il présente côte à côte un spectacle, Les Philosophes, et des miniatures à la plume sur le même motif. Du pointillé réaliste, Nadj passe pour Les Corbeaux au jet abstrait. Mais il reste fidèle au noir (du trait) et blanc (du papier).

 

Quand il dessine ses corbeaux, oiseaux de la sagesse dans son pays d'origine, Nadj se tient debout, au-dessus de sa feuille de papier posée sur une table, autour de laquelle il tourne. "Il s'agit de retraduire à travers le trait et son rythme les attitudes des corbeaux lorsqu'ils s'abattent sur le sol, raconte Josef Nadj. Je les observe depuis des années, en particulier lors de mes séjours dans ma région natale. Lorsque je dessine, je travaille au croisement de différentes choses : ma mémoire, les sensations et les images du vol jusque dans les micro-détails de l'oiseau et du lieu sur lequel il se pose. Cela peut être un caillou ou un morceau de grillage".

 

COUPS DE BEC

 

Le résultat, sur des formats 65×50 cm, oscille entre des boules de fils noués comme des nids, des chevelures électriques ou des spirales. Surgit aussi, à la faveur de lignes droites, la vigueur brossée du plumage. Ou encore quelques coups de bec bien secs. " On ne reconnaît évidemment pas les corbeaux, commente Nadj. Ce qui m'intéresse, c'est leur dynamisme propre, que j'essaye de visualiser en me mettant au plus près de l'énergie de l'oiseau et de ce qu'il voit. C'est une façon de dessiner très physique. "

 

Dans la performance, qui donnera lieu à un spectacle en 2010, le corps devient matière dansante et picturale. Ses mouvements, inspirés par les oiseaux, déposent des traces de peinture noire sur la feuille. "Je suis à la fois l'observateur, le pinceau, la peinture et le danseur, résume Nadj. A la fin, je deviens le corbeau, tout ça dans un même élan. La grosse différence avec le travail à la table réside dans l'absence de maîtrise. Je ne vois pas ce que je suis en train de peindre au sol."

 

Lors de chaque performance, deux grandes peintures sont effectuées. Nadj les donne à ceux qui le désirent lorsqu'il en est content, sinon il les jette. Après la série de représentations pour Paris quartier d'été, il repart pour quelque temps à Kanizsa. Il y observera encore et encore corbeaux et corneilles pour affiner son coup de patte et cette torsion du bras qui soudain prend son vol, à tire d'aile.

 

Rosita Boisseau, Le Monde, 29 juillet 2009.

Les corbeaux vu par Stefanie Möller

C'est de l'observation des corbeaux que sont nés les dessins de Josef Nadj et plus particulièrement de l'instant où ils commencent leur descente vers le sol, se posent, puis marchent.

Tôt le matin, dans l'état brumeux qui sépare le sommeil, Josef Nadj observe les corbeaux, suit leurs mouvements et saisit dans son dessin la magie des plus petits instants, ceux que nous connaissons tous, mais que nous laissons passer.

 

Josef Nadj fixe ces moments bougés en lignes concrètes et s'arrête dès qu'il commence à analyser. Il est vrai que l'on ne voit de corbeaux sur aucune feuille de papier. Ce que l'on perçoit très clairement par contre c'est leur plumage brillant et voltigeant, leur arrivée sur la branche qui vibre sous leur poids, leurs cris perçants pendant leur danse dans les airs et l'émotion sombre et jubilatoire qui habite le subconscient de l'observateur.

Des traits épais , plombés se compriment en un fagot noir brillant et filandreux, qui propulse en son milieu une bulle translucide. Des écheveaux volants qui tourbillonnent au gré de la tourmente. Leurs extrémités frangées se touchent tendrement ou bien s'évasent en un flet aux mailles serrées, au travers d'un trou noir. Ici il y a quelques touffes de traits concentrées que le vent balaie sur la feuille de papier, et des tissus qui s'étirent en frisottant légèrement, appâtant le regard pour mieux le laisser se perdre dans le lacis d'un cocon.

 

Ces lignes relais, tourbillons, séparées ou intimement liées, oscillent avec une telle dynamique entre lourdeur et légèreté, que l'on se demande de quels mouvements de danse Josef Nadj a joué de son crayon.

 

D'après le texte de Stefanie Möller, traduit de l'allemand par Gisèle Quémener-Langhabel.

Expositions passées :

 

22 mars – 29 mai 2018

Galerie Camera Obscura

Paris (FR)

 

25 novembre-11 décembre 2015

Centre chorégraphique National d’Orléans

Orléans (FR)

 

17-31 mars 2015

Rive Gauche

Saint Étienne du Rouvray (FR)

 

28 juillet-2 août 2014

L’Odyssée

Périgueux (FR)

 

15-18 mai 2014

L’Antre-Loup

Pithiviers-le-Viel (FR)

 

10 octobre-30 novembre 2014

ACB

Bar-le-Duc (FR)

 

14 janvier-15 février 2013

Centre culturel Jean-Gagnant + Théâtre de l’Union

Limoges (FR)

 

5-31 janvier 2012

Consortium Centre d’art contemporain

Dijon (FR)

 

5-12 novembre 2011

Festival D’Jazz Nevers

Nevers (FR)

 

8-27 juillet 2010

Maison des Vins

Festival d’Avignon (FR)