Une pièce de Josef Nadj pour un danseur et un percussionniste

 

Chorégraphie 

Josef Nadj

 

Musique

Vladimir Tarasov

 

Interprétation

Josef Nadj, Vladimir Tarasov

 

Lumières

Rémi Nicolas

 

Objets scéniques

Michel Tardif

 

Conception et réalisation des masques 

Jacqueline Bosson

 

Coproduction 

Centre Chorégraphique National d’Orléans, Festival d’Avignon, Emilia Romagna  Teatro  Fondazione  – Modena

 

Avec le soutien

de la Région Centre

 

Création de la 1ère version – Last landscape

Festival d’Avignon, 11 juillet 2005

Une première étape de Last Landscape a été présentée le 13 avril 2004 à Nevers, à la suite d’une commande de « D’jazz à Nevers »

 

Création de la 2e version – Paysage après l’orage

Théâtre Garonne – Toulouse, 12 décembre 2006

 

Durée 

1 h

Regarder avec tout le corps, voir comme un peintre, transposer une vision, créer un spectacle à partir de cette expérience. C’est un pari que Josef Nadj relève en duo avec le compositeur et percussionniste Vladimir Tarasov. Sur scène, les images se substituent aux mots tandis qu’un captivant dialogue se noue entre musique et danse. Le musicien-improvisateur agence sons et rythmes en de multiples variations. Le chorégraphe-danseur interprète un monde subtil entre gestes et masques. Sa danse semble venir de loin, captant ces petits mouvements physiques, presque archaïques, qui précèdent la création d’une œuvre. De séquences en tableaux, l’espace ne cesse de se transformer : jeux d’ombres et de lumières, énigmatiques supports et surfaces, effets de proche et de lointain. Hors du temps, avec ce rapport enchanté aux objets qui caractérise son univers, Josef Nadj chorégraphie chaque impulsion qui motive le geste. Il en restitue le dessein. L’homme face au paysage. Last Landscape, le dernier. Un autoportrait. À l’origine de ce spectacle, un lieu bien réel dont le chorégraphe a gardé une forte impression depuis l’enfance. Près de son village natal en ex-Yougoslavie, il existe une terre vierge, désertique et argileuse. Autrefois peuplée de tribus nomades, elle possède, dit-on, une source miraculeuse qui alimente de nombreuses légendes. Dans Last Landscape, Josef Nadj est à l’écoute de cette nature particulière où son imaginaire a pris racine. En toute abstraction, avec ce mystérieux sens du signe qui anime chacune de ses pièces, l’artiste interprète son propre parcours. Face au paysage, il interroge la double dimension de sa démarche. Derrière l’homme de scène se révèle le plasticien. Alors peu à peu l’acteur s’efface jusqu’à laisser matière, couleur, énergie librement dessiner un autre paysage.

 

***

 

Le titre Last Landscape recouvre une pièce chorégraphique pour un danseur, Josef Nadj, et un musicien, Vladimir Tarasov et un film qui met en parallèle la pièce et ce qui la fonde, c’est-à-dire sa genèse, ses sources et son processus de création.

 

Josef Nadj conçoit Last Landscape / Dernier paysage comme une sorte de pause, réflexive et féconde, sur l’origine du mouvement et, plus précisément, sur l’origine de son mouvement.

Le film fonctionne donc par un jeu d’allers-retours entre le paysage et la scène, entre l’expérience initiale réelle / symbolique qui fonde le duo Nadj / Tarasov et son aboutissement dans le « présent de la représentation ». Et l’autoportrait se constitue dans l’alternance entre la couleur et le noir et blanc, entre le son direct et la musique, entre la fixité et la mobilité, entre les images du décor naturel dans tous ses états, printemps, été, automne, hiver et ce que l’on pourrait définir comme la projection d’un espace mental.

Last landscape vu par Myriam Blœdé

Josef Nadj définit le projet de Last Landscape comme un « autoportrait face au paysage ». Mais le paysage dont il est ici question n’est ni une abstraction ni une généralité. Il s'agit d’un paysage existant, à quelques kilomètres de Kanjiza, sa ville natale - une petite ville de Vojvodine (Yougoslavie), située à quelques kilomètres des frontières avec la Hongrie au Nord et la Roumanie à l'Est. D'un paysage qui exerce un attrait sur lui depuis l'enfance.

 

Le paysage

Désigné comme « le désert », ce paysage aux caractéristiques tout à fait particulières est un coin perdu de Pannonie - cette vaste plaine qui était autrefois une mer dont le lac Balaton serait « l'empreinte » liquide.

Presqu’aucun arbre à l'horizon, mais une étendue d’herbes folles qui enserrent une dépression argileuse, absolument aride, d’où cependant, de temps à autre, jaillit une source actuellement en sommeil. Cette source aurait, dit-on, des vertus miraculeuses et il existe à son sujet toute sorte de légendes.

À proximité immédiate, se trouve un petit édifice à partir duquel, par un système de canalisations, l'eau de la source était autrefois acheminée vers Kanjiza. Mais il existe aussi des tumulus, également ensevelis sous les herbes, dont l'existence accrédite l’idée selon laquelle ce « désert » et sa source magique auraient été, il y a des milliers d'années, un lieu de culte pour des tribus nomades.

Le climat de la région est continental, chaleur ou froid intenses et pluies diluviennes. Aussi, le paysage varie en fonction des saisons et des conditions climatiques : tantôt les eaux de pluie sont retenues au fond de la dépression, formant un étang peu profond, totalement opaque, gris-vert et argileux ; tantôt, sous l'effet de la chaleur ou du gel, l'argile se dessèche et des craquelures apparaissent à la surface.

 

Autoportrait

Au cours des dernières années, les créations scéniques de Josef Nadj se sont réparties selon deux axes distincts : d’une part, des pièces de groupe inspirées par la vie et l’œuvre d’un artiste (d'un écrivain, à une exception près) et, de l’autre, des petites formes (duos ou solos) qui renouent avec ses toutes premières chorégraphies et dans lesquelles la part de l'autobiographie, du vécu et de l’expérience, est plus sensible, plus manifeste.

C’est à la deuxième catégorie que ressort Last Landscape. Un autoportrait donc, mais volontairement partiel, à la manière de ces tableaux ou de ces (auto-)fictions littéraires qui mettent en scène le peintre dans son atelier ou l’écrivain devant sa page blanche... Il s'agit en somme d’un autoportrait de l’artiste au travail, dans lequel « l’œuvre en cours » est de surcroît envisagée comme un retour aux sources de son art.

Ainsi, Josef Nadj conçoit Last Landscape comme une sorte de pause, réflexive et féconde, sur l’origine du mouvement et, plus précisément, sur l'origine de son mouvement. Car. pour lui, la question des origines (de la notion d’origine au sens large ou de ses propres origines) est une préoccupation centrale.

 

Processus

Le point de départ de Last Landscape, c’est l’idée du paysage, de ce paysage précis, comme « scène primitive », c'est-à-dire comme lieu où s’enracine le mouvement. Cet endroit désertique, comme métaphore du dépouillement le plus extrême, peut être le lieu d’une recherche qui se situe en deçà de tout artifice, de tout concept, de toute élaboration intellectuelle. Dans un rapport direct, concret, de l'homme au monde - en l’occurrence de Josef Nadj au paysage de son enfance, ce paysage premier et « ultime » qui représente pour lui la synthèse, idéale pour toute création, entre « la matière et l'idée ».

Cette recherche procède d'abord de la sensation, l’appréhension sensible de ce fragment de nature - il s'agit de « s’immerger » dans le paysage, de se laisser absorber par lui pour tenter de le comprendre, d’en comprendre l’histoire et ses répercussions, le présent et ses plus infimes variations. Puis de la traduction immédiate de cette sensation dans un mouvement qui serait l’écho, le prolongement et comme l’émanation du paysage lui-même.

En un second temps, elle consiste à mémoriser ce « mouvement originel », à l’intérioriser de manière à l’emporter avec soi pour pouvoir le réaliser, le réactualiser hors du paysage - en studio, sur scène. Ou, symétriquement, pour pouvoir recréer ailleurs, en studio, sur scène, la sensation de cet espace.

 

Last Landscape

Créé en duo et en correspondance intime avec le percussioniste Vladimir Tarasov, Last Landscape est en quelque sorte « l’esprit du lieu ». C’est l’écho et la réverbération, par le dessin, le mouvement et le son, d’une expérience qui relève d’une nécessité intérieure - l’expérience intime d’un retour aux sources.

Mais c’est aussi un paysage : évocation d’un décor naturel dans tous ses états et restitution d’un parcours créatif, condensation et projection dans le présent de la représentation d’un espace réel et d’un espace mental, c’est un paysage multiple, visuel et sonore, qui se compose et se décompose sur la scène tout en y inscrivant ses traces.

Enfin, réflexion menée par un chorégraphe sur le mouvement et son origine, Last Landscape comporte également des références au cycle - de la nature, des saisons, de la création -, c’est-à-dire au mouvement perpétuel et aux notions d’effacement et de renouvellement.

 

Last Landscape, suite...

Le projet Last Landscape englobe à la fois l’œuvre scénique pour un danseur et un musicien (création festival d’Avignon 2005) dont il est ici question, et un film, Last Landscape. Josef Nadj par Josef Nadj (52’ / 2006) qui mettra en parallèle la pièce et ce qui la fonde, c’est-à-dire sa genèse, ses sources et son processus de création.

 

 

Myriam Blœdé

Entretien avec Josef Nadj, par Irène Filiberti

Dans Last Landscape, vous dansez seul, accompagné par un musicien. Comment peut-on interpréter cette intention ? Est-ce une nécessité pour vous de revenir ponctuellement à un point d’origine, au travail particulier de l’écriture du solo ?

 

Josef Nadj Après Le Journal d’un inconnu, j’ai éprouvé un profond besoin de poursuivre la réflexion que j’avais engagée sur le mouvement. Mais plutôt que d’interroger le danseur à travers l’écriture d’un solo, mon idée était de chercher un autre angle d’approche du geste, en associant un témoin à cette recherche. Il s’agit de Vladimir Tarasov qui est compositeur et musicien, percussionniste. En réalité, Last Lanscape est un espace de partage, non pas avec un autre danseur, mais avec un musicien. Dès le début, dans ma proposition, il y a une volonté de dépassement. Trouver un rapport à la musique qui ne soit pas un simple accompagnement. Ce n’est pas juste une composition mais une écriture élaborée à partir d’un travail d’improvisations entre musique et mouvement.

Vladimir a cette faculté très particulière, ample, d’être non seulement un compositeur mais surtout un musicien d’improvisation. Durant les étapes de préparation de la création, le travail ressemblait beaucoup à une écriture de jazz ou de musique improvisée. Il y avait une légère trame d’événements, ou plutôt de propositions, des idées et des directions, quelques ajustements et des répétitions. Nous avons fait durer un peu cette phase pour garder la matière de l’écriture ouverte, souple. Pour voir ce qui arrivait, explorer les possibilités qui s’offraient à nous et les tester auprès d’un public. La composition spontanée, l’improvisation demandent un état de concentration particulièrement aigu que l’on n’obtient pas forcément lorsqu’on travaille en studio car on sait que l’on peut modifier ou corriger les choses sans problème.

J’avais le désir de retrouver cette pratique de danseur, d’improvisateur que j’ai beaucoup aimée il y a des années et que je pratique beaucoup moins aujourd’hui. Enfin, disons plutôt que je l’utilise dans les répétitions, dans le processus de création, puisque l’essentiel de mon travail est issu de l’improvisation et non pas de concepts. Mais créer, composer en public, c’est une façon de faire qui ne m’est pas habituelle. Puis, je me suis livré à un travail d’analyse sur la matière issue de ces improvisations et l’écriture est devenue de plus en plus précise. Au fur et à mesure – c’est aussi la façon dont nous avions procédé lors de notre première collaboration dans Le Temps du repli – Vladimir Tarasov cristallise aussi sa propre écriture. Je veux dire qu’il agit, réagit essentiellement avec la mémoire des gestes musicaux. Et l’ensemble peut apparaître pour finir comme une composition écrite bien que cela ne soit pas le cas. C’est ce qui me fascine avec cette collaboration avec des musiciens. Je travaille sur une écriture très structurée alors que le musicien, dans son espace, peut développer toutes les variations possibles. J’avais vraiment besoin de cette dimension de l’écoute extrême dans le développement de mon travail.

 

 

Quels sont les motifs de votre choix pour les percussions ?

 

D’abord l’énergie sur le plateau. En tant qu’interprète, être accompagné par des percussions en direct, donne une perception des choses très forte. Dans les moments de jeu, je peux m’appuyer sur elles. Il y a cette vibration dans l’espace, cette énergie qui provient de la nature même des sons. Quelque chose de réel et en lien avec la lumière. On peut alors entrer dans une autre dimension : créer la couleur des sons. Aller plus loin. Pas seulement à partir d’une rencontre entre danseur et musicien mais aussi créer entre deux langages, deux formes de compositions. Pour le dire autrement, j’élabore une dramaturgie visuelle tandis que Vladimir Tarasov, en réponse à mes propositions, crée une composition musicale au sens le plus noble du terme.

 

Pourquoi avoir intitulé cette création Last Landscape ?

 

Il y a un glissement dans cette proposition. Pour moi, la matière première de ce spectacle provient de l’observation d’un espace réel. Il s’agit d’un paysage presque idéal. Proche de mon village natal en Voïvodine, je le fréquente depuis quelques années. C’est un endroit un peu désertique. Inchangé depuis des milliers d’années, il abrite des légendes, mais on n’y trouve aucune trace humaine. Le danger y est omniprésent car ce lieu peut disparaître à tout instant. Dans cet endroit, il n’y a presque rien hormis les éléments naturels comme le vent, le soleil, la terre, l’herbe qui pousse, l’eau, une source qui jaillit de temps en temps et quelques animaux.

Dans mes autres créations, je me référais à des sources littéraires, à des observations ou des souvenirs concrets de personnes. J’ai enlevé ces repères habituels dans mon travail au sens où je crée généralement avec des éléments aux contours nets. A l’inverse dans Last Landscape, tout est dégagé. Il reste le lieu, un espace vide. Je suis face au mystère.

Je n’avais encore jamais procédé de cette façon. Solliciter l’imaginaire et la perception en interrogeant la présence et les souvenirs d’autres personnes qui dans des temps lointains, reculés, ont séjourné dans cet endroit-là alors que je ne dispose d’aucun type d’informations sur eux. Comment trouver un contact avec cet espace, capter la mémoire, l’énergie du lieu. C’est là que je rejoins le rapport avec le musicien et les percussions. Un partage très physique même si on le considère en dehors du travail musical. Se ressourcer dans un endroit précis de la nature est aussi un acte très concret. Ce contact produit des impacts physiques, des moments qui font réagir le corps. J’essaie simplement d’être à l’écoute de ce qui se passe là car je ne peux pas le comprendre. C’est un travail de perception qui demande de se concentrer sur les sensations. Dans un premier temps, elles partent dans tous les sens ou cherchent à se cristalliser, se fixer à un imaginaire. C’est un travail sur l’imaginaire qui se développe en toute liberté.

 

De quelle façon développez-vous ces différents rapports entre musique, peinture et mouvement ?

 

Dans cette création, il y a un double noyau. D’une part, la matière du mouvement, appelons ça une sorte de danse. D’autre part, un travail sur le regard. Pas seulement en tant qu’observateur. Il s’agit de regarder avec tout le corps mais aussi avec l’idée de voir comme un peintre devant son tableau. Chercher à capter ou saisir les choses en tant que motif visuel et transposer cette vision avec le geste, le trait, le dessin. Sur scène, il y a un rapport au tableau. Autour de la notion de surface et des impulsions qui motivent le geste du peintre.

Un personnage apparaît. Ses gestes sont les signes de l’acte qu’il souhaite accomplir, faire un tableau. La musique cherche à effacer ses actions. Pour moi, ce désir est à l’origine d’une sorte de danse. Pour le percussionniste, effacer le tableau devient la source de la musique. Il y a donc toute une recherche entre nos partitions, pour retrouver, y compris visuellement, l’essentiel : l’impression de paysage. Cela passe par la dimension horizontale puis verticale, le rapport entre le haut et le bas, la terre et le ciel avec un jeu sur le blanc et le noir. Cela évolue et prend différentes formes jusqu’à ce que la figure humaine, mon personnage, s’intègre complètement à l’image. Last Landscape est mu par un désir de représentation presque impossible. Autour de l’idée d’un tableau qui reflète le paysage. Le dernier avant que la civilisation n’y dépose son empreinte.

Pour souligner l’impossibilité de notre propos, la pièce commence par deux figures de clowns. Derrière nos masques, Vladimir et moi-même, le musicien et le danseur, nous pensons que la tache est impossible mais nous nous proposons de le faire quand même. Ce chemin mène forcément quelque part, pour chacun de nous-même, mais aussi, comme par ricochets, vers l’extérieur. L’évocation de quelque chose d’indéchiffrable. Je n’ai pas la prétention de vouloir une mémoire juste. Que s’est-il passé dans ce lieu- là ? À partir de cette question, je suis simplement resté à l’écoute de mes réactions physiques et mentales. En procédant à la façon d’un rituel très personnalisé, j’ai eu envie de structurer cette prématière “cynétique” jusqu’à ce qu’elle devienne quelque chose de plus lisible, palpable.

C’est la première fois que je me pose la question “comment transposer”, mais je suis maintenant dans cette veine-là, imbriquer différentes façons de procéder.

 

Propos recueillis par Irène Filiberti

Dates passées :

 

25-26 septembre 2006

Yugoslav Drama Theatre

Belgrade (SRB)

 

9 mai 2006

Théâtre de Cavaillon

Cavaillon (FR)

 

19-20 avril 2006

Bonlieu Scène nationale d’Annecy

Annecy (FR)

 

11 avril 2006

La Halle aux grains

Blois (FR)

 

14-26 mars 2006

Théâtre de la Ville

Paris (FR)

 

25-27 janvier 2006

Théâtre des Treize Vents

Montpellier (FR)

 

4-7 janvier 2006

Scène nationale d’Orléans

Orléans (FR)

 

28-30 octobre 2005

ATER

Modena (IT)

 

11-12 septembre 2005

Théâtre MU

Budapest (HUN)

 

8 septembre 2005

Art House

Kanjiza (SRB)

 

11-24 juillet 2005

Festival d’Avignon (Création officielle)

Avignon (FR)

 

10 octobre 2004

3 Wochen mit Pina Bausch Tanztheater Wuppertal, PACT Zollverein

Essen (DE)

 

13 avril 2004

Festival D’Jazz Nevers, Maison de la Culture de Nevers

Nevers (FR)