A tribute to Henri Michaux

 

Choregraphy & scenography

Josef Nadj

 

Performers

Guillaume Bertrand, Istvan Bickei, Damien Fournier, Peter Gemza, Ikuyo Kuroda, Mathilde Lapostolle, Cécile Loyer, Nasser Martin-Gousset, Josef Nadj, Kathleen Reynolds, Mineko Saito, Gyork Szakonyi and the Butô Dairakudakan dance company : Ikko Tamura, Pijin Neji, Tomoshi Shioya, Yusuke Okuyama

 

Music

Akosh Szelevényi, Szilárd Mezei

 

Performed by

Akosh Szelevényi, Szilárd Mezeï, Gildas Etevenard, Ervin Malina

 

Choregraphy assistant

Mariko Aoyama

 

Lights

Rémi Nicolas

assisted by Christian Halkin

 

Scenography

Michel Tardif

& Ateliers du Festival d’Avignon

 

Props

Jacqueline Bosson

 

Costumes

Yasco Otomo

assisted by Fabienne Orecchioni, Francine Ouedraogo, Sayo Maeda, Françoise Yapo

 

Coproduction

Centre Chorégraphique National d’Orléans, Festival d’Avignon, Setagaya Public Theatre – Tokyo, Théâtre de la Ville – Paris, Emilia Romagna Teatro Fondazione – Modena

 

Supports

Carré Saint-Vincent – Scène Nationale d’Orléans, DeSingel – Anvers, Cankarjev Dom -Ljubljana, Région Centre

With the help of “Performing Arts japan”, Fondation du Japon, programme Culture 2000 de l’Union européenne, Kirin Brewery Co, Shiseido Co and Air France

 

Creation

Cour d’honneur du palais des papes – Festival d’Avignon, 7 july 2006

 

Duration

80 min

 

Dedicated to Thomas Erdos

For Josef Nadj, ‘playing (‘asobu’ in Japanese), and all the various aspects of that act, is a new challenge to the stage and to gesture which is present in all his work.

After last year’s fabulous conversation between music and dance in Last Landscape, entirely focused on the act of the painter and writing for music – colours and variations developed while working closely with Russian composer Vladimir Tarasov – the choreographer revisits one of his favourite fields, the study of the life and work of an author, drawing imaginary connections with that person and his own artistic research on the body, movement, poetry and image.

 

Nadj has for a long time been fascinated by the works of Henri Michaux, for two basic reasons. One is that the poet takes drawing and markings deeper into the meaning of language, and he uses travel to invent imaginary peoples, small, unusual tribes who leap out at you as if they were visible apparitions.

 

Weaving ‘the fable of origins’, the title of one of Michaux’ first texts, is one of the themes shared by the two artists; Nadj, continually digging further and further to find material for his creations in his home region, material which he metamorphoses by infusing it with elements from elsewhere, from other cultures and other forms of artistic expression. Henri Michaux travelled to Japan and from that trip drew his story called Un Barbare en Asie. Josef Nadj, for his part, left Kanisza to visit the Land of the Rising Sun and created Asobu. The voyage is real but also metaphorical, crossing the river, the Tisza, which runs beside his native town of Kanisza and constantly beckons you to ride on its lazy waters elsewhere.

 

So Josef Nadj decided that for this new piece he would take six modern dancers from Japan, four of them having been trained in the art of Buto. Twenty-four actors, dancers and musicians, including composer Vladimir Tarasov, melt into the scenic landscape out of Nadj’s imagination. Costumes, masks and dummies play a part in the enigmatic effects of transformation which make them move.

 

Bodies melt into each other, change shape, roll-up, lay-down, rise or fall, revealing strange and interior worlds, an abundance, saturation of material, effects of mass, density and which focus one’s gaze. And then the dance suddenly launches into the space of the Courtyard of Honour in the Pope’s Palace, across the entire vast stage, across that horizon, exploding, taking-off, vibrating.

 

It is a work of view, of vision and that, like a sketch, a stroke, a line, continues its movement until it disappears. Asobu, crossing over from one place to another.

A journey into the world of bodies and matter.

 

Irène Filiberti

Josef Nadj, entretien avec Irène Filiberti

Asobu, la création que vous présentez dans la cour d’honneur au début du festival, signifie « jeu » en japonais. Quel est son lien au spectacle ?

JOSEF NADJ Je cherchais un terme qui, par rapport aux acteurs présents dans ce spectacle, évoque l’aboutissement de nos différentes rencontres, notamment une série d’ateliers menés depuis plusieurs années au Japon. Travail qui, pour cette création, s’est ouvert à l’arrivée de six danseurs japonais, quatre danseurs de butô et deux danseuses contemporaines qui partagent notre recherche. La notion de jeu répond plutôt à l’idée de défi. Cette pièce en relève deux en une seule proposition. Le premier est le fait de jouer dans la Cour d’honneur du Palais des papes, le second d’intégrer un groupe d’interprètes venus d’ailleurs avec un autre ancrage, une autre tradition, ce qui est très stimulant. Dans cette pièce, sur scène, tout est jeu, à chaque instant. À partir d’un jeu premier, essentiel, celui de l’acteur. Il y a bien d’autres dimensions au jeu, mais ce que je cherche à travers lui tient plutôt à ce qui accompagne la danse. Les images, taches, ombres, travestissements ainsi que la présence d’un mannequin, tous ces matériaux sont les éléments d’un jeu. Nous jouons aussi avec les frontières et les différentes cultures, avec les transformations qui se produisent dans ces traversées d’un pays à un autre, d’un état à un autre. Enfin j’essaie aussi de mettre en jeu : montrer, dévoiler les préparatifs du spectacle, ce qui fait illusion au théâtre, comment on y entre et on en sort, comment la magie prend fin. Il y a une très forte concentration sur scène car tout ce que nous faisons est à vue, y compris ce qui en général se passe en coulisse. Je montre comment « on fait derrière ». Je n’ai rien voulu cacher, seulement concentrer, densifier.

 

Comme dans la plupart de vos pièces, vous évoquez l’œuvre d’un poète. Dans asobu, il s’agit d’henri michaux. Comment l’abordez-vous ?

C’est une histoire qui remonte assez loin dans mon parcours. Je voulais aborder l’œuvre de Michaux depuis des années, avant même de créer mon spectacle Poussière de soleils, réalisé autour des écrits de Raymond Roussel. Le cas de Michaux, sa vie, son œuvre me semble davantage favorable à la composition du groupe d’artistes réunis dans Asobu afin de créer la matière à partir de laquelle je voulais travailler, notamment autour de l’idée de voyage. Je m’intéresse en particulier à la façon dont ceux-ci ont influencé son œuvre poétique. Cela me permet d’interroger mon propre parcours. Son questionnement croise le mien. En tant que chorégraphe, cette mise en parallèle me permet d’entrer dans sa matière, de comprendre la façon dont il remet en question l’écriture en tant qu’écrivain, y compris lorsqu’il touche au dessin, ce que je fais également, pour creuser le sens même du langage. Je m’appuie de plus en plus sur cette expérience pour avancer : mettre en parallèle différentes propositions, recherches ou questionnements artistiques. Je me suis donc surtout intéressé à son rapport à Ailleurs, au Voyage en grande Garabagne - Au pays de la magie - Ici, Poddema (éditions Gallimard, coll. « poésie ») et tous ces peuples imaginaires qui, à un moment, s’engagent peu à peu pour former de petits univers, avec des tribus insolites. Par ailleurs, dans la compagnie, la présence d’interprètes de différents pays me donne un peu cette impression. Un groupe, une communauté qui pourrait être l’un de ces peuples imaginaires selon Michaux.

 

Comment mettez-vous en scène, en jeu, ces correspondances ?

Je travaille la matière indéfiniment et différemment. J’essaie de rendre visible un imaginaire, tous les éléments que je suis en train de construire et d’articuler. J’ai d’abord vécu un moment au milieu des œuvres de Michaux et ce premier travail d’approche est devenu, en cours de création, un repère essentiel. J’y reviens sans cesse. J’imagine Henri Michaux avec le pinceau, face au papier, qui s’essaie à faire une première tache-mouvement, qui cherche le mouvement, la musicalité, qui cherche encore des signes, des pré-signes, des éléments de pré-langage, lesquels, dans sa démarche, résultent d’un travail préalable, après une série de tableaux ou d’autres visions qui peu à peu ressemblent à des masques, convoquent des apparitions, forment des figures. Mais c’est le mouvement, l’extension des lignes et même la musicalité de certains détails de surface qui l’intéressaient. Il était dans cette quête-là. Il y a un moment du spectacle où je réponds à la figure du poète qui lâche un mot et déjà le transforme. Nous avons repris quelques fragments de poèmes parmi ceux qu’il a écrits en langue imaginaire, dont il a détourné le sens pour ne garder que la musicalité des mots, la signification ayant été évidée. Dans Asobu, j’évoque aussi l’apparition des taches à partir des corps et d’un jeu d’ombre. De cette manière, je peux m’approcher de ce dessin de plume. J’en fais apparaître plusieurs, toujours à partir des corps. C’est-à-dire que j’essaie de déformer la présence humaine, de façon à ce qu’elle devienne une tache et compose de petits dessins dans le temps, comme une partition musicale contemporaine. Car ces taches peuvent également évoquer une notation possible en même temps qu’un nouvel espace.

 

Vous parlez de musicalité et de matière, de quelle façon les travaillez-vous ?

Déjà dans le mouvement, et en composant des formes de regroupements, des figures solitaires ou en groupe, voire amalgamées. Je ne sais pas comment je travaille la musicalité, cela se fait à l’oreille, comme je l’entends. Ce sont aussi des rapports simples, directs, avec Vladimir Tarasov le compositeur qui travaille avec nous pendant les répétitions et fait des propositions que nous discutons ensemble. 2

 

Sa position est différente de celle qu’il occupait en duo avec vous dans last landscape ?

Oui, sa partition est plus fixée, écrite. Certains points sont plus détaillés et le travail en groupe est différent de celui qui peut s’effectuer en duo. Mais il est venu avec moi au Japon, il a rencontré les danseurs avant même que je les choisisse, a vu des répétitions. Je lui ai aussi montré des images filmées, elles font parties des sources d’inspiration directes et indirectes qui réagissent avec sa musique. Ensuite il m’a fait des propositions. Puis nous avons réfléchi au type de composition, nous avons cherché des correspondances, ce qui nous semblait le plus juste pour une scène ou une autre.

 

Que cherchez-vous dans ces moments-là ? Procédez-vous de façon complètement intuitive ?

Ce peut être une sorte d’harmonie dans l’espace sonore et visuel, et de temps en temps des rapports d’énergie ou bien d’ambiance, de couleur, ça dépend. De sens bien sûr, parce que le thème musical peut donner ou suggé- rer un sens dramaturgique que les images ne peuvent proposer. Il y a donc de multiples rapports et plusieurs types d’intervention pour trouver des propositions musicales qui s’accordent avec la nature de scène.

 

Dans quel espace se déroule le spectacle ?

Lors de mon dernier voyage au Japon, en regardant un spectacle nô, en appréciant surtout cette remarquable façon de gérer le temps et l’espace, une idée m’est venue. Dans le nô, la scène est petite et le peu d’éléments qui s’y trouvent prennent une signification particulière. Cette façon de procéder m’a d’abord confirmé dans le choix d’épurer l’espace. Ensuite j’ai eu envie de faire construire une petite scène, qui n’est pas celle du nô mais qui permet de concentrer des présences sur un espace restreint. Contrairement à cet art japonais, cette petite scène se déplace et l’on peut aussi bien jouer dessus qu’à côté. J’ai réduit à l’essentiel les objets pour véritablement renforcer la présence humaine des corps. J’ai également inclus des films courts qui ont été réalisés dans ma ville natale, Kanizsa avec l’origine comme point de départ. Ainsi, j’essaie de suivre les traces de Michaux, qui part d’un lieu précis pour aller d’ailleurs en ailleurs, de plus en plus loin. Cette stratégie d’écriture, je l’emprunte pour présenter l’espace d’où je viens, ses aspects extérieurs, géographiques, et je termine avec le motif du fleuve qui court aussi dans son œuvre. Je me suis inspiré d’Ecuador, de ce moment où l’auteur réalise comment il peut concevoir son propre chemin. Il se trouvait alors sur le fleuve Amazone et descendait en pirogue en lisant le livre tibétain de Milarepa. Je reprends des images de fleuve et avec un mannequin, j’évoque l’image du poète, hypersensible, écorché par le monde. Dans le film, il est installé sur une petite barque suspendue qui descend le fleuve et regarde.

 

Vous parlez de déplacements, de traversées ?

J’ai cherché à travailler l’espace sur plusieurs dimensions. L’intérieur, l’intime ou ce qui représente le vécu ; une vision du monde singulière, et l’ailleurs dans sa dimension réelle ou imaginaire. En terme d’espace, ce qui m’intéresse aussi dans le fait de jouer dans ce grand espace qu’est la Cour d’honneur du Palais des papes, c’est d’offrir un point de focalisation sur un petit élément. Cela requiert une force d’intériorité extrêmement concentrée, pour qu’elle puisse par l’effet de cette densité traverser ce grand espace. Toujours avec l’idée du voyage comme traversée, un travail de lien, de regard ou vision qui circule du proche au lointain.

 

Comment avez-vous vécu cette aventure d’être artiste associé de cette édition du festival ?

La demande de devenir artiste associé a été soudaine. Quand Hortense Archambault et Vincent Baudriller m’ont appelé en décembre 2002, j’étais à Moscou, et il fallait répondre très vite, sans vraiment pouvoir réflé- chir, j’ai dit oui, et au fur et à mesure, j’ai vu ce que cela signifiait réellement. Mais de suite j’avais compris que c’était une opportunité extraordinaire pour pouvoir éclairer et illustrer mon univers artistique ou mon territoire, ce que j’ai essayé de faire. Nous avons beaucoup parlé sur ce que pouvaient être mes repères dans mon parcours, notamment de mes débuts en Voïvodine, puis à Budapest, au moment où j’ai décidé de changer de chemin, des arts plastiques vers l’art théâtral. À cette époque pour apprendre, il y avait très peu de livres traduits en hongrois, trois ouvrages m’ont été très précieux Le Théâtre de la cruauté d’Artaud, un livre d’Anatoli Vassiliev, un livre sur le nô japonais. J’ai alors construit un axe de travail jusqu’à aujourd’hui autour de certaines préoccupations : comment le travail au quotidien fait acquérir une maîtrise du geste, comment apprendre à appréhender la forme à travers des expériences diverses. Nous avons également beaucoup discuté de musique et de peinture, du déplacement et du voyage, de la rencontre avec l’autre, ainsi que de l’apprentissage auprès des maîtres. En ce qui concerne mon parcours proprement dit dans ce festival, pour être le plus honnête avec moi-même, je ne voulais pas faire de reprise d’une de mes pièces, mais prendre le risque de deux créations, deux formes iné- dites, Asobu dans la Cour d’honneur et Paso Doble avec l’artiste Miquel Barceló. J’ai souhaité également montrer un aspect moins connu de mon travail artistique, des photographies et des dessins, Les Miniatures. On pourra également voir le film que je viens de réaliser sur Last Landscape. Enfin j’ai proposé d’inviter des artistes hongrois, le poète Otto Tolnaï, à travers une lecture de ses poèmes, le peintre Alexandre Hollan et le musicien György Szabados pour la première fois en France. Sa venue m’émeut particulièrement ; ce musicien a été l’un de mes maîtres à Budapest, où je fréquentais son « atelier de musique libérée », non pas de musique de jazz ou de musique improvisée, mais de musique libérée. Szabados est une figure dont la présence m’a semblé indispensable, ainsi que tous les musiciens de jazz qui donneront une certaine couleur à ce Festival.

 

Propos recueillis par Irène Filiberti

Asobu vu par Myriam Blœdé

J’écris pour me parcourir. Peindre, composer, écrire : me parcourir.

Là est l’aventure d’être en vie.

Henri Michaux (Passages)

 

Le sentiment de « complicité » que ressent Josef Nadj à l’égard d’Henri Michaux remonte à plusieurs années : ainsi, en 1999, Michaux s’était déjà vu ménager une place, discrète, dans Le Temps du repli.

Les points de rencontre entre ces deux artistes sont nombreux et pour certains manifestes – à commencer par leur prédilection commune pour le rythme, la musicalité, ou par les relations qu’entretient le chorégraphe avec la peinture et la poésie, et réciproquement par la réflexion qu’a constamment poursuivie le peintre et poète au sujet de l’espace, du geste et du mouvement.

Plus précisément, parmi les motifs qui ont incité Nadj à consacrer Asobu, sa prochaine création, à Henri Michaux et qui ont orienté sa conception de ce projet, on peut mentionner l’attrait pour l’« ailleurs » et la pratique du voyage, mobile ou immobile ; le défi personnel voire la recherche de ses propres limites comme moteur de l’action ou de l’expérience ; la notion de passage, d’un lieu ou d’un langage, d’un médium à un autre ; la Fable des origines, titre de l’un des premiers textes de Michaux et thématique majeure, récurrente dans son œuvre, qu’il décline dans de multiples réinventions du monde et dans des créations de mondes, de contrées, de mythes imaginaires ; l’extrême concentration sur l’intériorité ou encore sur le fragment, le détail, l’infiniment petit. Enfin, cette tension entre Orient et Occident qui les anime tous deux et dans laquelle l’Orient est envisagé comme un horizon (géographique, social), un lointain, et surtout comme une « civilisation », une constellation de cultures millénaires.

Cette pièce qui réunira des danseurs japonais (quatre butôkas et deux danseuses contemporaines) aux interprètes de la compagnie et qui sera l’occasion de réaliser c’est-à-dire de mettre en jeu cette tension, se concentrera donc sur l’auteur du Barbare en Asie (1933) et de Poteaux d’angle (1981) – l’un des ultimes recueils de Michaux dans lequel, selon Nadj, il « touche » le taoïsme et d’une certaine manière rejoint ainsi l’un des textes fondateurs de la sagesse chinoise, Le Livre des Transformations ou Yi King. Or, Nadj rappelle que les deux derniers hexagrammes (63e et 64e) du Yi King s’intitulent respectivement « Après la traversée » et « Avant la traversée ».

C’est dans cette perspective qu’Asobu est conçue comme une traversée de l’œuvre d’Henri Michaux. À l’exception des voyages accomplis par le poète, et particulièrement de ses voyages en Orient, très peu d’aspects de sa biographie seront pris en compte. En revanche, le thème de la « traversée » dans son sens concret, physique, et intellectuel, symbolique, voire mystique, est essentiel.

 

Myriam Blœdé

Asobu vu par Rosita Boisseau

Josef Nadj ensorcelle Avignon

 

Le chorégraphe, artiste associé du Festival, a pris possession de la Cour d'honneur avec "Asobu", inspiré par Henri Michaux.

 

Des sons de clochettes se dissipent dans le vent léger qui court sur le plateau de la Cour d'honneur du Palais des papes. Il gonfle le pantalon du mannequin au visage bandé assis à une table en train d'attendre. Le dîneur solitaire fait une tête d'enterrement. Les motifs de prédilection du chorégraphe et plasticien d'origine hongroise Josef Nadj sont à leur poste : la table, le pantin défiguré, la réversibilité vie-mort. Sans compter les palissades en bois qui bordent un côté de la scène tandis qu'une petite estrade carrée se dresse à l'opposé. Que la sarabande commence !

 

Vendredi 7 juillet, Asobu ("jeu" en japonais), de Josef Nadj, artiste associé de l'édition 2006 du Festival, a ramassé dans un mouvement ample, une respiration dilatée, les fragments d'un rêve surréaliste tissé des textes d'Henri Michaux (1899-1984), auquel la pièce rend hommage. Dans une montée gestuelle et sonore, seize interprètes et quatre musiciens, tous habillés en noir et gris, ont donné au mot "sortilège" une saveur inédite où l'obscurité et la beauté de l'humain s'équilibrent dans un furieux tiraillement.

 

Pourquoi le Japon ? Pour Michaux, d'abord. Après Raymond Roussel, Bruno Schultz ou Georg Büchner, c'est le voyageur-écrivain auquel s'arrime Josef Nadj dans Asobu. Pour le soutenir au cours de son périple spectaculaire, dans ce qui ressemble toujours peu ou prou à une plongée introspective, Nadj a élu Michaux, partenaire mental de longue date dont la proximité fait ici fructifier ses fantasmes.

 

Michaux a traversé l'Europe et l'Asie pour se poser au Japon avant la seconde guerre mondiale. Nadj travaille régulièrement au Japon et a choisi six danseurs nippons pour participer à Asobu. Mais l'emprise de Michaux ne s'arrête pas là. Il peignait et dessinait. Nadj aussi. Le chorégraphe aime visiter les galeristes parisiens possédant des oeuvres du poète. Le trait fourmillant de l'un n'est pas sans rappeler le coup de plume minutieux et dense de l'autre.

 

Sur un plateau dégagé dans sa quasi-totalité, Josef Nadj donne libre cours à sa fureur de danser, traçant des déplacements de groupe ou des échappées en duo savamment articulés. La femme pelotonnée dans les bras de l'homme ou celle le surplombant telle une vigie s'inscrivent d'ores et déjà parmi les vignettes rares de l'album d'images de Josef Nadj.

 

Idem les solos féminins, qui n'ont besoin de rien pour griffer l'air en rêvant de le caresser. Sculptural, le geste chorégraphique recycle les corps pour faire advenir des créatures imaginaires qu'un jeu d'ombres sublime en monstres de parade.

 

 

SEUIL APRÈS SEUIL

 

Josef Nadj est un être partagé, morcelé. Sa danse part en éclats, cassant l'interprète sans le démantibuler. Son théâtre d'images aussi. Sa structure en abyme, imbriquant des scènes les unes dans les autres comme des poupées gigognes dont l'air de famille n'empêche pas d'infimes différences, entrechoque les associations poétiques que seul un rêveur effréné doublé d'un insomniaque peut imaginer. Seuil après seuil, les personnages s'enfoncent, s'ingénient d'un coup de tête à repousser le cauchemar qui pointe derrière le leurre de la réalité. Il y a toujours chez Nadj le revers de la vie qui s'exprime dans un sursaut de lucidité.

 

La question du visage, cher à Michaux, se concentre chez Nadj dans la figure du pantin. Enveloppé façon momie prête à être enterrée ou entièrement dissimulé par un foulard pour un rituel nippon revu et corrigé, le visage, ce messager ouvert de la personne, avance voilé, brouillé. Le solo autoportrait de Nadj, créée en 2002, ne s'intitulait pas par hasard Journal d'un inconnu, soulevant le point d'interrogation de l'identité ou de celle que l'on s'imagine posséder.

 

Battant au rythme martelé de la musique signée par Akosh Szelevenyi et Szilard Mezeï (deux semaines avant la création, le complice-musicien Vladimir Tarasov, perle rare dans l'accompagnement-live du chorégraphe, a été débarqué du spectacle), Asobu se déchiffre pas à pas comme une énigme sans solution. Sur des percussions fines ou épaisses, avec contrebasses, flûte et violon, le "jeu" se maintient pendant plus d'une heure quinze, intense, fertile (presque trop vers la fin), comme si Nadj se prenait lui-même en otage. Les accents jazzy barrissants de cette complainte tendue hurlent le prix à payer pour rester bien vivant.

 

"J'écris pour me parcourir, disait Michaux. Peindre, composer, écrire : me parcourir. Là est l'aventure d'être en vie." Depuis la création de sa compagnie en 1986, six ans après avoir quitté sa Yougoslavie natale pour la France, Josef Nadj, nommé directeur du Centre chorégraphique d'Orléans en 1995, poursuit une oeuvre hantée par la connaissance de soi et l'irréductibilité du destin. Cyclique, Asobu perpétue avec une rare amplitude une boucle de naissance et de mort à l'horizon sans cesse repoussé. Pièce paradoxalement épurée, truffée pourtant de références, elle se lit comme le manifeste d'une conscience qui ne trouve de paix momentanée que dans l'action spectaculaire.

 

Pour sa première expérience dans la Cour d'honneur, Nadj a eu la veine d'une insolente distribution. Auprès des six Japonais nouveaux venus dans la troupe et parfaits agents déstabilisateurs, la présence résolue et puissante d'anciens a fait pencher la bascule. Les Hongrois Istvan Bickei, Peter Gemza, Gyork Szakonyi, ainsi que Kathleen Reynolds, Mathilde Lapostolle, Cécile Loyer et Nasser Martin-Gousset donnent un relief majeur à Asobu. Cette pléiade, qui tient tout simplement l'histoire de Nadj dans sa main, a offert une floraison superbement inattendue.

 

Rosita Boisseau – Le Monde 9 juillet 2006

History :

 

12 février 2007

Biwako Hall

Otsu (JP)

 

8 février 2007

Performing Arts Center

Matsumoto (JP)

 

26 janvier – 3 février 2007

Setagaya Public Theatre

Tokyo (JP)

 

7-9 décembre 2006

Centre d’Art International de Singel

Anvers (BE)

 

1-2 décembre 2006

La Filature

Mulhouse (FR)

 

7-13 juillet 2006

Cours d’honneur du Palais des papes – Festival d’Avignon

Avignon (FR)