Conception, compositions et interprétation
Josef Nadj et Ivan Fatjo
Lumières
Christian Scheltens
Mise en son
Steven Le Corre
Construction des décors et accessoires
Julien Fleureau, Clément Dirat et Olivier Berthel
Production
Centre chorégraphique national d’Orléans
Soutien
Résidence Sainte-Cécile – Orléans
Création
Centre Chorégraphique d’Orléans, 27 mai 2015
Durée
50 min environ
Á l’origine de Pour Dolores, l’apparition d’un visage de femme, d’une présence silencieuse, énigmatique, mais insistante, émanant tout entière d’un masque ancien en carton peint, teint mat, traits à la serpe, cheveux noirs lissés en accroche-cœur sur les tempes, lèvres rouges, regard oblique. Et, à partir de cette rencontre fortuite sur un marché aux puces, comme un appel, une injonction : savoir qui est Dolores, lui donner corps et la découvrir derrière ce masque de femme.
Josef Nadj a choisi de se référer pour cette quête au mouvement Fluxus et de travailler une fois encore par la figure du double. La nouvelle création de Josef Nadj avec Ivan Fatjo se présente ainsi comme un cycle de miniatures gestuelles, visuelles et musicales au nombre de 24, comme les heures du jour.
À l’origine de Pour Dolores, l’apparition d’un visage de femme, d’une présence silencieuse, énigmatique, mais insistante, émanant tout entière d’un masque ancien en carton peint, teint mat, traits à la serpe, cheveux noirs lissés en accroche-cœur sur les tempes, lèvres rouges et regard oblique. Cette rencontre fortuite sur un marché aux puces et la trouvaille elle-même suscitèrent chez Josef Nadj comme un appel, une injonction : savoir qui était “Dolorès”, lui donner corps, la découvrir derrière ce masque de femme.
Réalisant ainsi un projet qui le poursuit depuis de nombreuses années, le chorégraphe a choisi de se référer pour cette quête au mouvement Fluxus. Né dans les années 1960, ce collectif d’artistes – musiciens avant tout, mais aussi plasticiens et écrivains – qui fût, avec d’autres, mais plus radicalement peut-être, à l’origine de la performance, prônait la continuité entre l’art et la vie, et envisageait la création comme un vaste champ d’expériences auquel peuvent concourir toutes les disciplines artistiques. Parmi leurs expérimentations, Nadj s’est intéressé tout particulièrement à celles qui valorisaient la brièveté et la simplicité, l’ordinaire, qui reconsidèrent l’environnement et les objets avec toutes leurs propriétés, matière, structure, mais aussi les interactions de l’homme avec ce qui l’entoure – afin de modifier la perception, de mettre en question les idées reçues, de bousculer les usages et de faire surgir du chaos de nouvelles harmonies. En particulier, dans l’esprit Fluxus, chaque action humaine, chaque chose peut générer un son et tout objet, quel qu’il soit, peut être “joué”. Mais aussi chaque son peut être entendu comme une musique.
Travaillée une fois encore par la figure du double, la nouvelle création de Josef Nadj, en duo avec Ivan Fatjo, s’inscrit dans le prolongement de ses plus récents spectacles, Ozoon (2013) et Paysage inconnu (2014), en particulier. Car, si la musique a toujours constitué un élément de composition essentiel dans l’oeuvre scénique de Nadj, la recherche d’une convergence, de l’union la plus étroite possible, voire d’une véritable fusion entre musique et danse, fut l’un des enjeux majeurs de ces pièces créées avec la collaboration du saxophoniste Akosh Szelevényi et du batteur Gildas Etevenard.
D’une certaine manière, avec Pour Dolores, Josef Nadj et Ivan Fatjo sont passés “de l’autre côté” : les musiciens ont déserté le plateau, tandis que la “musique”, omniprésente dans le spectacle, dépend désormais des actions des danseurs. Et, si l’on note la présence dans la pièce d’un piano à queue, d’un cor de chasse et d’un violoncelle avec deux archets, il y a aussi, pour faire naître cette musique, des instruments chirurgicaux, une plaque de métal, massive, imposante, une tige longue et mince, un ballon de baudruche, des brins de chanvre, un casque en cuivre, un grelot, un buste de Socrate qui se reflète dans un miroir ovale ou les dents d’un loup empaillé… Tout l’espace vibre et résonne, pourtant les touches n’actionnent pas les marteaux qui ne frappent pas les cordes du piano, celles du violoncelle ne sont ni pincées ni frottées et aucun souffle ne traverse le cor. Paradoxalement, dans cette création pour la scène, les dimensions visuelles et sonores ont, pris le pas sur celles qui relèvent du théâtral et du chorégraphique. Placé sous le régime de la patience, de l’attention, de l’obstination dans la recherche, Pour Dolores se présente ainsi comme un récital, avec au programme un cycle de miniatures gestuelles, visuelles et musicales – au nombre de 24, comme les heures du jour. Un récital dédié à une femme anonyme, une certaine Dolores.
Myriam Bloedé
Approchant la fin du processus de création, le nouveau duo de Josef Nadj et Ivan Fatjo s'annonce fascinant.
Ça s'est annoncé lors de leur création précédente, ce Paysage inconnu aux accents de Freejazz. La complicité entre Josef Nadj et Ivan Fatjo se bonifie de création en création, se structure, se dépouille et gagne en intensité. À chaque traversée, les paysages intérieurs se font plus aventuriers, plus complexes et deviennent pourtant plus lisibles. Pour Dolorès est aussi limpide et ludique que complexe et jouissif, fascinant et émouvant.
Après avoir dissimulé leurs visages sous un filet dans Paysage inconnnu, Nadj et Fatjo passent au masque plein. Leurs visages figés, aux yeux exorbitants, sont aussi innocents que malicieux, dans un mélange de douceur et de détermination. Nadj a acheté ce masque aux puces et on comprend aisément sa fascination pour son expressivité mystérieuse et mélancolique, où se dessinent étonnement, douleur, choc, doute, force et sensibilité à la fois, annonçant une blessure universelle mal cicatrisée tel un Weltschmerz, cette blessure d'être au monde. Ensuite, ils ont créé à ce masque un double "qui regarde dans l'autre sens", comme seule différence.
Sculptés dans le bois, ces traits relèvent autant du Guignol que de l'expressionnisme, du Nô que du Manga. Une passion silencieuse s'en dégage qui contraste avec les corps angulaires, vêtus du costume de ville noir que Nadj a imposé comme son emblème et seul habit possible. La mélancolie, déjà sujet dans ATEM (Le Souffle), n'est pas un état d'âme très bruyant. D'où un dosage très économe des gestes musicaux, avec un piano de concert comme tremplin sonore. S'y ajoute ce langage gestuel typique, fait de ruptures et de résistances qui veut qu'on croit apercevoir dans les traits subtilement expressifs du masque une sorte de caricature de Josef, si jamais il lui venait à l'esprit de se grimer en femme.
Fatjo s'étant approprié le langage corporel de Nadj, leur complicité produit un effet de miroir. Chacun se reflétant dans son alter ego, un effet de dédoublement s'ajoute au brouillage des identités sexuées. Mais Pour Dolorès joue avant tout sur l'ambiguïté entre innocence et cruauté. Les deux frères jumeaux sont comme des enfants, poussés par une curiosité naturelle pour explorer les corps, objets et sons qui les entourent.
On joue au chirurgien, on enfonce des aiguilles ou des seringues où on peut, on dissèque les cordes du violoncelle, on commet des atrocités métaphoriques sans s'en apercevoir. L'innocence enfantine ne fait que renforcer le mystère. Nadj et Fadjo nous ramènent ici vers l'enfance, autant que dans l'univers de l'expressionnisme et des films d'horreur. Leur gestuelle prolonge à merveille la gravure sur bois du masque. Et nous ne serions pas dans l’univers de Nadj si la construction des personnages ne passait pas par de petits accents d'animalité, qui surgissent chez lui avec le naturel que l'on sait.
Pour Dolorès renégocie les identités sur plusieurs carrefours, mais la complexité de la construction se double d'une simplicité absolue dans la lecture, ce qui ne permet qu'une seule conclusion: On touche ici, profondément, à quelques éléments-clés du psychisme humain. Donné en avant-première au CCN d’Orléans et ensuite aux Bouffes du Nord à Paris, en avant-première dans le cadre du festival La voix est libre, ce nouveau duo en est presque à sa forme définitive et semble s’annoncer comme une belle possibilité de proposer des formules à géométrie variable, très adaptable aux espaces et aux circonstances.
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Thomas Hahn – Danser Canal Historique
Dates passées :
6 février 2016
Teatro Municipal Joaquim Benite
Almada (PT)
4 décembre 2015
Théâtre de la tête noire
Saran (FR)
9 octobre 2015
Emmetrop
Bourges (FR)
30 mai 2015
Festival La Voix est libre
Paris (FR)