Conception
Josef Nadj
Interprétation
Josef Nadj, Ivan Fatjo
Musique et interprétation
Akosh S., Gildas Etevenard
Lumières
Christian Scheltens
assisté de Lionel Colet et Matthieu Landré
Mise en son
Jean Philippe Dupont
Construction des décors et objets scéniques
Julien Fleureau et Clément Dirat
Production
Centre chorégraphique national d’Orléans
Coproduction
Secretaría de Cultura del Gobierno del Estado de Jalisco dans le cadre du Festival Internacional de Danza Contemporánea Onésimo González, Guadalajara – Mexique, L’Odyssée, festival Mimos, Institut National des arts du mime et du geste de Périgueux.
Soutiens
DRAC Centre, Ville d’Orléans, Résidence Sainte Cécile (Orléans)
Création
Centre Chorégraphique d’Orléans, 17 mai 2014
Durée
55 min
Créé loin de toute référence littéraire ou artistique, Paysage inconnu se fonde sur un travail d’improvisation au long cours, poussé jusqu’à l’épuisement. La notion de paysage y est entendue au sens métaphorique, c’est-à-dire en tant que paysage intérieur, un paysage mental, infiniment changeant comme l’est la vie même, et toujours à redécouvrir. Cependant l’exploration de ce territoire est une aventure collective qui vise à rechercher, au-delà de la parole, un “autre langage commun”. Une aventure travaillée par deux motifs essentiels : la figure du double tout d’abord, comprise aussi bien dans la ressemblance que dans la complémentarité, s’impose d’emblée dans la co-présence et la dissémination sur le plateau des deux danseurs et des deux musiciens ; dans la relation entre le geste et le son, la musique et la danse. Mais aussi dans le jeu d’oppositions entre vitesse et lenteur, amplitude et retenue, suspens et activité, rigidité et élan, présence et absence, obscurité et blancheur, tragique et burlesque, joie et mélancolie… Étroitement noué à cette figure du double, le principe de transformation, d’alternance ou encore de passage, de seuil à franchir, constitue le deuxième motif de Paysage inconnu. Présent dans l’incessante métamorphose, aussi subtile soit-elle, d’un paysage inconnaissable pour cette raison même, ce principe est ici mis en regard avec le cycle de la vie, c’est-à-dire du passage ,justement des limbes à la vie, puis de la vie à la mort, au néant, et à nouveau à la vie.
Paysage inconnu est donc une sorte de danse macabre, une vanité dont la dimension introspective ou méditative est constamment “menacée” par l’humour, la dérision, le grotesque, l’ironie.
Myriam Bloedé
Comment parler d’une apparition autrement que sous l’angle temporel de sa fragilité, là où elle replonge dans l’obscur ? Mais comment parler de cette fragilité même autrement que sous l’angle d’une plus subtile ténacité, qui est force de hantise, de revenance, de survivance ?
Georges Didi-Huberman
S’il fallait, à propos de ce quatuor, évoquer un paysage réel, ce serait sans doute celui de la Pannonie, cette plaine qui se joue des frontières instituées par les hommes et s’étend ininterrompue sur des kilomètres carrés, avec ici et là un oiseau en surplomb, un arbre comme une silhouette esseulée ou l’éclat d’un coquelicot qui ponctuent et renforcent encore, par contrepoint, l’immensité jaune verte des herbes hautes ployées par le vent. Ce pourrait être aussi la représentation de cette plaine sans limite, à laquelle toute sa vie s’est employé le peintre Tihamér Dobó. Lui qui, selon Josef Nadj, voyait là une impossibilité… à moins d’en passer par le simple tracé d’une ligne horizontale avec, ici et là, « quelques accents ».
Mais c’est plutôt au point précis où Dobó jugeait ce paysage irreprésentable que s’inscrit cette nouvelle création. Et c’est peut-être précisément l’impossibilité de le peindre, d’en fixer l’image qui en est le sujet : à savoir, l’opposition entre son absence de relief, son immuabilité apparente et son incessante transformation, quand bien même celle-ci échapperait au regard.
En effet, au-delà de la région où sont nés Josef Nadj et Akosh Szelevényi – de part et d’autre d’une frontière justement –, au-delà de cette langue maternelle et de cette culture hongroise qu’ils ont en partage et au-delà du « décor » qui constitue l’arrière-plan de leur duo Les Corbeaux (2010), par exemple, ou du trio Paysage après l’orage (2006) avec Gildas Etevenard, la notion de paysage est entendue cette fois au sens métaphorique, c’est-à-dire en tant que paysage intérieur, un paysage mental, infiniment changeant comme l’est la vie même, se modifiant au gré des événements, des rencontres, au fil de l’expérience, et toujours à redécouvrir.
Paysage inconnu a été créé loin de toute référence littéraire ou artistique. Cependant – et c’est un autre aspect remarquable dans cette pièce qui se fonde sur un travail d’improvisation au long cours, poussé jusqu’à l’épuisement –, l’exploration de ce territoire est une aventure collective : la recherche, au-delà de la parole, d’un « autre langage commun ». Une aventure travaillée par deux motifs essentiels, déjà présents il est vrai dans d’autres pièces de Josef Nadj.
Il y a d’une part la figure du double, comprise aussi bien dans la ressemblance que dans la complémentarité, qui s’impose d’emblée dans la composition du groupe et de la pièce elle-même : dualité et similitude dans la co-présence et la dissémination sur le plateau des deux danseurs Josef Nadj et Ivan Fatjo, et des deux musiciens Gildas Etevenard et Akosh Szelevényi ; dans la relation entre le geste et le son, entre la musique et la danse ; dans l’importance également donnée aux gestes des musiciens et aux sons produits par les danseurs. Mais aussi dans l’évolution constante de ce « paysage » visuel et sonore, dans le travail du rythme et dans le jeu d’oppositions entre vitesse et lenteur, amplitude et retenue, suspens et activité, rigidité et élan, présence et absence, obscurité et blancheur, tragique et burlesque, joie et mélancolie…
Étroitement noué à cette figure du double, le principe de transformation, de mutation, d’alternance ou encore de passage, de seuil à franchir, constitue le deuxième motif de Paysage inconnu. Passage du feu aux cendres, de l’énergie à l’inertie, du rougeoiement des braises à la noirceur d’un tronc calciné, de la nuit au jour, de la similitude à la différenciation du double. Et incessante métamorphose, aussi subtile soit-elle, d’un paysage inconnaissable pour cette raison même.
Mais de manière plus générale, l’idée de transformation est mise ici en regard avec le cycle de la vie – un cycle qui embrasse aussi bien des états intermédiaires comme la genèse, la gestation, et la mort, et qui serait passage justement des limbes à la vie, puis de la vie à la mort, au néant, et à nouveau à la vie.
Ainsi, dans un dispositif frontal, un espace vide avec quelques éléments épars, Paysage inconnu est une sorte de danse macabre, une vanité dont la dimension introspective ou méditative est toutefois constamment « menacée » par l’humour, la dérision, le grotesque, l’ironie.
Myriam Bloedé
Musiciens artificiers, danseurs, acrobates… La rencontre de Périgueux étend l’aire de jeu du mime et offre la dernière création du chorégraphe Josef Nadj.
Le festival Mimos, créé en 1983 à Périgueux, géré depuis 2000 par l’Odyssée, scène conventionnée et dirigée par Chantal Achilli, peut se vanter d’avoir un public large, familial et fidélisé. L’an dernier, plus de 60 000 spectateurs ont assisté aux spectacles in et off de 250 artistes. Mieux que le Tour de France, qui ne fit qu’y passer dare-dare, le festival transforme la ville pendant une semaine.
(…)
Fort heureusement, les gestes ne manquent pas à Mimos, en témoigne la toute récente création de Josef Nadj, Paysage inconnu, quatuor pour deux danseurs (dont lui-même) et deux musiciens.
Ce n’est pas la première fois que le danseur, directeur du Centre chorégraphique national d’Orléans, s’en retourne chez lui, le chez-lui hongrois de son enfance, à Kanjiza en Voïvodine (province autonome de Serbie, ex-Yougoslavie). Muni de trois passeports - un français, un serbe, un hongrois -, Nadj ne cultive pas l’attachement patriotique. Après Journal d’un inconnu et Paysage après l’orage,solos autobiographiques, il part une nouvelle fois sur ses propres traces, pour n’y découvrir qu’un effacement gris, un tableau abstrait, contredit par quelques éléments très choisis d’un sobre décor : un arbre tronqué et calciné, une vieille baignoire et des seaux en métal, un tableau, une cage rouillée qui sert d’instrument de musique.
De la musique composée par Akosh Szelevényi et Gildas Etevenard à la danse de Josef Nadj et d’Ivan Fatjo, il n’y a aucune délimitation, aucune séparation. De la même façon, le travail plastique - le chorégraphe est aussi dessinateur et plasticien (3) - est sur le même plan que le chorégraphique. La circulation entre musique et danse est ininterrompue, le jeu entre les deux sur un même terrain, où l’effacement permet de tout petits reliefs sonores ou physiques. Le chorégraphe évoque comme terre souterraine au spectacle la Pannonie, «cette plaine qui se joue des frontières instituées par les hommes, et s’étend, ininterrompue, sur des kilomètres carrés, avec ici ou là un oiseau en surplomb, un arbre comme une silhouette esseulée ou l’éclat d’un coquelicot, qui ponctuent et renforcent encore, par contrepoint, l’immensité jaune verte des herbes hautes ployées par le vent».
Cette plaine est l’aire de jeu et le son du coquelicot dans la musique. Les interprètes gémellaires ne se différencient guère de deux épouvantails. Ils ont même gommé leur visage, la tête dissimulée dans des bas à la manière des braqueurs. Ils sont potes, ils rient ensemble et papotent comme des hiboux perchés dans un grenier. Ils boivent aussi, généreusement, maculant de traces blanches le tableau noir et sa ligne d’horizon immobile, avant de casser leurs verres. Ils en viennent parfois aux mains, comme de vieux lascars, en hommage discret à Toni Kovacs, ancien lutteur devenu sculpteur.
Canard.
Dans ce Paysage inconnu, on se reconnaît pour avoir feuilleté l’album poétique imagé de l’artiste, depuis ses premières pages gastronomiques avec un surprenant canard pékinois en 1987. Finalement, on est chez soi dans son chez-lui, jamais clos ni nostalgique. On aime bien ses bonshommes, mal dégrossis, grotesques, terreux, qui dansent pour conjurer les mauvais sorts, et surprennent par l’élégance insoupçonnée d’une main.
Tout autre univers, ce qui confirme l’infinie variété des gestes au répertoire extensible des arts du mime, avec Face Nord, de la compagnie Un loup pour l’homme. Là encore, il s’agit d’un quatuor masculin, plus acrobatique et plus en force. S’escaladant les uns les autres, les quatre de cordée, dont deux fiables porteurs, ont fait de la scène un ring de plein air pour un combat tout doux, où le groupe cherche de nouveaux équilibres, de nouvelles architectures pour tenir bon ensemble, voûtes, éventails. Chaque moment est une aventure sensationnelle, souvent très drôle. Il ne manque plus à ces quatre séduisants jeunes gens qu’à écrire le spectacle, livré pièce par pièce. Mais tout est là pour que cela advienne.
(…)
Marie-Christine Vernay - Libération 31 juillet 2014
Le chorégraphe présente « Paysage inconnu » au festival Temps d'Images, au Centquatre, à Paris
Des ronds pour les yeux, le nez et la bouche. La boule de neige projetée sur l'écran du spectacle Paysage inconnu, chorégraphié par Josef Nadj, a tout d'un masque enfantin dont les traits s'effacent et se recomposent au gré d'un coup de vent. Cette image mouvante, qui effeuille les couches de peau du visage, ouvre une performance féroce sur l'identité et la défiguration.
Vite classée, cette vision faussement douce de l'humain ! Place à des pantins cassés qui poussent leur squelette devant eux. A l'affiche du festival Temps d'Images, au Centquatre, à Paris, Paysage inconnu est une danse macabre telle que sait les conduire Josef Nadj, chef de parade incontesté en la matière. Depuis près de trente ans, le directeur du Centre chorégraphique d'Orléans démonte la mécanique humaine sans jamais en venir à bout.
CRÉATURES SIMIESQUES
Exit donc le visage, cette carte intime de la personne lisible par tout un chacun ! Cagoulés d'un collant, les deux protagonistes du spectacle ont perdu toute humanité pour devenir des grimaces en costards noirs, des rictus sur pattes, corps coupés qui continuent de gesticuler. Cette astuce permet de trancher net les habitudes physiques pour sortir de ses gonds et ouvrir la porte à des créatures simiesques, affolantes de liberté et d'absurdité.
Soumise à des déflagrations qui les ravagent, la drôle de paire (Ivan Fatjo et Nadj lui-même) – le thème des jumeaux et du double est cher à Nadj –, se mord le nez tout en faisant copain-copain comme les meilleurs des frères ennemis.
Pour réussir cette bascule irréductible dans l'inconnu, Josef Nadj a mis au point un piège, une cage de sons qui transpercent les danseurs sans répit. Deux musiciens (Akosh Szelevényi et Gildas Etevenard, coauteurs de la pièce) et une batterie d'instruments, en majorité des percussions, balancent un feu nourri de stridences, frappes, barrissements, cris, pas loin de l'électrochoc permanent. Un conditionnement absolu pour ne plus se reconnaître et affronter ses fantômes, voire ses monstres.
SAS ÉLECTRIQUE
Cette charge très free jazz donne parfois la sensation d'être la fibre même des interprètes, leur voix et leur langue. Elle transforme le plateau, peu fourni en accessoires contrairement à la plupart des spectacles de Nadj, en un sas électrique.
Paysage inconnu affirme la spécificité du style de Josef Nadj, né en 1957 en Voïvodine (en ex- Yougoslavie), dont la culture originelle tatoue en profondeur le travail. Son corps passé au crible de la lutte et du football, du service militaire (quinze mois en Bosnie-Herzégovine), puis du théâtre, à Budapest, enfin du mime et de la danse, à Paris, est martelé par ses différentes techniques.
Plus proche d'un théâtre du geste que d'une écriture chorégraphique proprement dite, sa façon de se jeter sur scène tord le corps au bord d'une chute toujours annoncée, toujours momentanément différée. Parallèlement, sa formation aux Beaux-Arts et sa double vie de plasticien trouvent aussi dans la pièce une place fine comme une incise : il suffit de trinquer avec des verres remplis de farine pour peindre à l'arrache une toile d'un soir.
A sa façon furieuse, Paysage inconnu fait écho au seul solo chorégraphié et interprété par Nadj en 2002, intitulé Journal d'un inconnu. Il signe plus de dix ans après un nouvel autoportrait en biais, tout aussi énigmatique. Quête de soi en cours.
Rosita Boisseau – Le Monde - 24 septembre 2014
Dates passées :
4 avril 2016
Théâtre des Autre Saisons
Gradignan (FR)
1er avril 2016
Espace Jéliote
Oloron-Sainte-Marie (FR)
29 mars 2016
Théâtre les Sept Collines
Tulle (FR)
8 décembre 2015
La Halle aux Grains
Blois (FR)
8 novembre 2015
Festival Euro Scene
Leipzig (DE)
5-6 décembre 2014
Opéra de Dijon
Dijon (FR)
1er décembre 2014
Festival Interférences
Cluj (RO)
2-4 octobre 2014
Scène nationale d’Orléans
Orléans (FR)
17-25 septembre 2014
Festival Temps d’images, Centquatre
Paris (FR)
29 juillet 2014
L’Odyssée, scène coventionnée de Périgueux
Périgueux (FR)
16-17 juillet 2014
Teatro Municipal Joaquim Benite
Almada (PT)