Chorégraphie et scénographie
Josef Nadj
Interprétation
Anne-Sophie Lancelin, Josef Nadj
Musique
Alain Mahé
assisté de Pascal Seixas
Interprétée par
Alain Mahé ou Pascal Seixas
Costumes
Aleksandra Pešić
Accessoires
László Dobó
Régie générale
Alexandre de Monte
Construction du décor
Clément Dirat, Julien Fleureau
Production
Centre chorégraphique national d’Orléans, Jel – Színház
Coproduction
Festival d’Avignon, Théâtre de la Ville, Le CENTQUATRE – Paris, Governo do Portugal – secrétariat d’Etat à la culture, Teatro Nacional de São João – Porto
Soutiens
DRAC Centre, Région Centre, Ville d’Orléans, Résidence Sainte-Cécile (Orléans), la Société Générale
Remerciements
Milena STOICEVIC – Quadriennale de Prague (République Tchèque), Regional Creative Atelier – Kanjiza (Serbie), Kiosk – Belgrade (Serbie)
Création
Festival d’Avignon, 12 juillet 2012
Durée
75 min
Transformer l’exiguïté d’une boîte de quatre mètres sur trois en un espace infini, abolir le temps autour d’un simple bâton, qui contraint autant qu’il rend possible la relation de deux êtres : voilà l’expérience théâtrale et alchimique à laquelle se livrent Josef Nadj et Anne-Sophie Lancelin. Ensemble, ils habitent ce dispositif et dansent pour une soixantaine de spectateurs. La promiscuité se change en intimité, le public est attentif aux innombrables détails d’une scène éclairée par de simples bougies. Le tableau vacille et évolue sous les assauts du souffle de chacun. Souffle, en allemand, se dit Atem. C’est un mot que Josef Nadj a rencontré dans un poème de Paul Celan, dont les écrits gravitent autour de cette nouvelle création. Le tableau vacille et évolue également sous les assauts d’Albrecht Dürer (1471-1528), dont la gravure « Melencolia » subjugue et poursuit Josef Nadj depuis son adolescence. Il y voit une femme et un petit homme, dotés d’ailes, qui semblent attendre devant une maison, entourés de multiples signes et objets qui rendent infinies les interprétations possibles. Le chorégraphe s’empare de cette gravure et de celles qui composent avec elle une trilogie – « Saint-Jérôme dans sa cellule » et « Le Chevalier, le Diable et la Mort » –, comme d’un gisement de rébus, de suggestions. Afin de déplier tous les possibles contenus dans ces œuvres, Anne-Sophie Lancelin et Josef Nadj évoluent dans un espace sonore composé, par Alain Mahé, à partir du son de la nature et des éléments. Pour un petit théâtre d’ombre et de lumière, d’émotions et de sensations.
Renan Benyamina pour l’édition 2012 du Festival d’Avignon
… la pierre qui allait au vent près de nous
roule sur la mer et dans le sillage qu’elle laisse,
vivant, le rêve fraie
Paul Celan, « Ensemble »
Défiguré – un ange renouvelé cesse d’être –
un visage parvient à lui-même
Paul Celan, « Dazibao »
Prague, juin 2011 – Boîte no 15
À l’origine de ce duo, l’invitation de Josef Nadj à la 12e Quadriennale de Prague (16-26 juin 2011), un festival international consacré à la scénographie comme « discipline artistique à la croisée des arts visuels et des arts de la scène », alliant expositions et spectacles. Plus précisément, le projet auquel Josef Nadj était appelé à participer dans ce contexte, événement majeur de la manifestation, avait pour titre : « Intersection : intimité et spectacle », et consistait en une architecture modulaire installée dans l’espace public au centre de Prague, un parcours éphémère composé de trente « boîtes noires ou cubes blancs » dont chaque élément, chaque module, était investi par un artiste – scénographe, plasticien, photographe, vidéaste, metteur en scène, chorégraphe ou créateur de mode.
En réponse à cette invitation, Josef Nadj a fait construire une boîte noire, la boîte no 15 dans le parcours, dont la surface au sol est de 4 x 4 mètres, avec un espace scénique d’une profondeur de 3 mètres et, séparé de cet espace par une vitre, une vitrine devant laquelle passer où s’arrêter, un passage ou une galerie d’un mètre de large dévolu aux visiteurs. Puis, en compagnie d’Anne-Sophie Lancelin, il a élaboré une courte pièce sur le thème de l’intimité, « intimité entre deux êtres, un homme et une femme », mais aussi « entre un homme et ses racines, sa terre natale avec ses arbres, son fleuve, ses habitants… ». Intimité, enfin, qui s’établit entre un artiste et son public « au travers de la danse, des dessins, des images scéniques », renforcée en l’occurrence par la proximité dans cet espace restreint.
Atem, un art du détail
Prolongement de l’expérience praguoise, Atem en conserve le dispositif scénique, avec ses contraintes est ses implications : une « boîte noire » de dimensions réduites, surélevée et ouverte frontalement cette fois, avec quelques dégagements, des passages, des ouvertures, des niches, des interstices, double fonds ou chausse- trapes, pour la plupart imperceptibles à l’œil. La partie « salle » quant à elle, ce couloir où le public de Prague se tenait debout, est augmentée d’une série de sept gradins susceptibles d’accueillir une soixantaine de spectateurs assis et de leur garantir une complète visibilité de la scène. L’ensemble forme un petit théâtre, léger, aisément démontable et transportable, qui peut être installé en intérieur comme en extérieur, et tient sur le plateau d’une salle de spectacle de taille moyenne.
À partir de cette structure spectaculaire-intime, la réflexion de Josef Nadj s’est orientée dans deux directions : l’une porte sur les rapports entre les deux danseurs : « Comment occuper, comment habiter à deux un si petit espace ? » L’autre s’articule sur la relation scène / salle induite par ce dispositif particulier, autrement dit sur la proximité comme condition du regard. D’autant que l’éclairage, exclusivement assuré par des bougies, des quinquets, renvoyant ainsi cette scène plongée dans une lumière diffuse à l’histoire du théâtre, force le spectateur à la plus extrême attention. Ces deux axes de réflexion ont amené Josef Nadj à se concentrer sur les « détails, des objets, des indices, de petits signes ».
Dürer, Celan, un retour aux fondamentaux
Si cette nouvelle pièce, dans laquelle Nadj poursuit son compagnonnage avec la danseuse Anne-Sophie Lancelin et le créateur sonore Alain Mahé, marque la reprise de certaines tonalités et de quelques problématiques récurrentes dans son univers, c’est tout particulièrement par le travail sur les matières et leur transformation, la référence aux éléments et au cosmos, et surtout la constante remise en jeu de la question du temps, cyclique ou linéaire, dont « l’écoulement inéluctable s’oppose à l’éternité » : « Il faudrait, dit-il, pouvoir arrêter le temps pour que nous, mortels, comprenions quelque chose de l’éternité. »
Cependant, au-delà de la « revisitation » ou du redéploiement de motifs présents dans ses créations antérieures, Atem semble constituer pour Nadj une sorte de retour aux fondamentaux, c’est-à-dire aux sources de son inspiration artistique. En effet, lorsqu’il déclare : « la peinture m’a attiré avant même la littérature ou la musique », Dürer est l’un des premiers, sinon le tout premier artiste qu’il mentionne parmi ceux qu’il a connus enfant et qui l’ont durablement influencé. Or, précisément et pour la première fois, c’est vers l’œuvre gravé d’Albrecht Dürer (1471-1528) qu’il a choisi de se tourner pour ce duo. Mais aussi, au cours du processus de création, il a éprouvé le besoin de relire Paul Celan (1920-1970), un poète qui l’accompagne et « l’éclaire » depuis l’adolescence. Et, dans certains poèmes de celui-ci, il a trouvé de multiples échos et développements aux gravures de Dürer.
Un tableau mouvant
Exercice de lucidité, de dévoilement, Atem propose une lecture de l’une des œuvres majeures de Dürer, Melencolia I (1514), gravure sur cuivre d’une grande complexité qui a été et demeure, jusqu’à aujourd’hui, le « sujet d’interprétations infinies » (H. Wölfflin). Parmi celles-ci, on retiendra, parce que d’emblée elles font sens pour Nadj, celles qui y voient une représentation de la pensée créatrice. Celles aussi, qui lui associent trois autres gravures auxquelles le chorégraphe s’est également arrêté : Saint-Jérôme dans sa cellule (1513) et Le Chevalier, la mort et le diable (1514) qui datent de la même période, ainsi que Adam et Ève (1504). Celles enfin qui incitent à douter de la surface des choses, c’est- à-dire de l’image telle qu’elle se donne à voir au premier abord.
Rien de didactique bien sûr, dans l’approche que propose Josef Nadj de cette œuvre et dans l’éclairage qu’il en donne : il s’agit pour lui d’en « recueillir » les éléments, d’en isoler les détails, de les déplacer, de les combiner autrement, de les faire entrer en résonnance avec des détails, communs ou non, empruntés aux autres gravures de Dürer, mais aussi aux vers de Celan, pour composer une nouvelle image, mouvante, c’est-à-dire un tableau dans lequel le mouvement conteste la vision, en même tant qu’il en devient un révélateur, un guide pour le regard.
Myriam Blœdé
Avignon . Dans «Atem», deux corps explorent l’infini d’une boîte de 4 mètres sur 4. Sublime.
Difficile de faire plus petit que la boîte de 4 mètres sur 4 qui sert de décor et d’espace scénique à la nouvelle pièce de Josef Nadj : Atem («le Souffle»). Cette configuration très spéciale vient d’une commande de la quadriennale de Prague qui avait demandé à des artistes de se produire dans ce type de boîtes derrière une vitre, pour que les spectateurs aient accès à leur travail.
Le chorégraphe, qui avait la boîte numéro 15, a conservé le même dispositif, le plaçant ouvert vers le public dans les théâtres. La belle Anne-Sophie Lancelin l’accompagne toujours dans l’aventure, tandis qu’Alain Mahé a créé un univers sonore très riche mais tout en légèreté pour Avignon. Le temps semble suspendu alors que deux personnages tentent d’occuper cette curieuse maison.
Ailes. Ce n’est pas une histoire de couple, ni même un duo. Ce sont deux êtres étranges, des anges peut-être, qui explorent chaque recoin de l’habitation. Très lentement, ces êtres doués de pouvoirs magiques (comme celui de disparaître brusquement avec la malice des prestidigitateurs) se déplacent, escaladent des murs lisses, apparaissent aussi par des trappes.
On ne peut plus abracadabrant, d’autant que ce sont des bougies qui éclairent le spectacle. Comment partager un espace réduit à deux : c’est tout l’enjeu de cette pièce intimiste où le moindre détail est mis en relief. Un bâton, par exemple, qui peut séparer ou relier, des brindilles qui marquent le temps comme des métronomes. Quant à ce qui se passe entre les deux : rien n’est plus tendre et sensuel. Dans l’entre-deux, il y a une telle attente de l’autre que lorsque les corps s’enlacent, le contact est saisissant, intense. L’homme à la lourde veste noire et la femme à la robe se livrent à un ballet sensible alors que la porte du grenier s’ouvre mystérieusement, alors que le babil d’un enfant absent nous parvient.
On reste tout aussi fasciné que Josef Nadj le fut lui-même lorsqu’il découvrit à 14 ans la Melencolia, une gravure sur cuivre de Dürer qui a en partie inspiré son spectacle. On y voit une femme dotée d’ailes, pensive et assise à côté d’un petit homme, les deux posés devant une maison.
Chausse-trapes. Grand lecteur également, Josef Nadj a trouvé résonance de son travail dans l’œuvre de Paul Celan, qu’il cite dans le dossier de présentation : «Défiguré - un ange cesse d’être - un visage parvient à lui-même.» Qu’il s’agisse de littérature, de peinture, de danse, Josef Nadj rend hommage à tous ceux qui fécondent l’imaginaire, qui ouvrent les portes sur l’inconnu et s’amusent comme lui (et comme la délicate et silencieuse Anne-Sophie Lancelin) à fabriquer des chausse-trapes pour mieux nous piéger avec soin, nous emporter dans leur monde en forme de rébus. On se laisse volontiers faire.
Marie-Christine Vernay - Libération 15 juillet 2012
Dates passées :
16-19 avril 2014
Pavillon Noir
Aix en Provence (FR)
20-24 novembre 2013
L’Arsenal, Biennale de danse en Lorraine
Metz (FR)
15-17 novembre 2013
Théâtre de l’Archipel, Scène Nationale
Perpignan (FR)
3-28 avril 2013
Le Centquatre
Paris (FR)
15-19 janvier 2013
Théâtre de l’Union, CDN
Limoges (FR)
12-16 décembre 2012
Scène Nationale
Orléans (FR)
21-25 novembre 2012
TNSJ
Porto (PT)
2-4 novembre 2012
Associazione Teatrale Emilia Romagna
Reggio Emilia (IT)
21-27 juillet 2012
Saint Saturnin-lès-Avignon, Festival d’Avignon
Avignon (FR)